La stabilisation optique… ou pas

Si la focale et l’ouverture sont des caractéristiques permettant d’identifier rapidement l’intérêt d’un objectif pour la plupart des pratiques photo, la plus-value de la stabilisation est souvent mal comprise. Pour ne pas simplifier la tâche des photographes « non-initiés », les marques utilisent des acronymes variés pour cette fonction : IS pour Canon, VR pour Nikon, VC pour Tamron, OS pour Sigma, OSS pour Sony ou encore OIS pour Panasonic et Fujifilm.

Dans cet article, je vais décrire rapidement comment fonctionne la stabilisation d’un objectif, comment sa performance est mesurée et vous donner quelques éléments pour répondre à une question primordiale : en avez-vous besoin ?

Si vous voulez la réponse directe à cette question, allez directement tout en bas. Mais si vous préférez prendre le chemin des écoliers et rentrer un peu plus dans la technique, c’est parti !

Rôle de la stabilisation

Le rôle de la stabilisation optique est de compenser les mouvements de l’appareil photo (couple objectif+boitier) lors de la prise de vue afin de conserver une image nette. Elle « filtre » donc les mouvements parasites subis par l’appareil,

L’origine de ces mouvements peut avoir plusieurs origines, Wikipédia cite :

  • le déplacement du photographe s’il est en mouvement ;
  • l’instabilité du photographe sur ses appuis s’il est par ailleurs immobile dans l’espace ;
  • les tremblements naturels de la main qui soutient l’appareil si le photographe est en revanche complètement stable sur ses appuis ;
  • le mouvement de l’appareil du fait de la pression sur le déclencheur ;
  • Les vibrations engendrées par le déplacement du miroir (REFLEX uniquement).

Le flou introduit par ces différents mouvements est appelé « flou de bougé« , mais nous y reviendrons.

Retenez, et j’insiste sur ce point que la stabilisation compense uniquement le mouvement de l’appareil photo. Si vous voulez figer le mouvement d’un sujet qui bouge, il n’y a qu’une solution : avoir un temps d’exposition court (ou éventuellement s’aider d’un flash).

Fonctionnement

La stabilisation d’un objectif est une opération mécanique consistant à déplacer un groupe optique (ensemble de lentilles) dans l’objectif pour compenser le mouvement de l’objectif. L’image ci-dessous représente les différents éléments optiques du Canon EF 70-200 f/4L IS II USM.

Le groupe encadré en rouge est celui responsable de la stabilisation optique. Il se déplace pour compenser les mouvements, comme illustré ci-dessous :

Principe de la stabilisation (@Canon)

Dans cet exemple, la camera est en train de prendre une photo (1). Lorsque la caméra est penchée vers le bas lors de la prise de vue, si rien n’est fait, la ligne de visée se déplace : la projection sur le capteur d’un point de la scène va balayer plusieurs photosites (les « pixels » du capteur), ce qui va créer l’effet de flou (2). Avec une stabilisation optique, l’objectif détecte la rotation de l’objectif et déplace le groupe optique en charge de la stabilisation. Les rayons lumineux sont déviés afin qu’ils viennent toujours impacter le même photosite (3) : pas de flou !

Le flou de bougé

A main levée

Avant de poursuivre, j’aimerais revenir sur la notion de « flou de bougé ». Pour un plein format tenu à main levée (c’est important), la règle empirique veut que le flou de bougé apparaisse dès qu’on dépasse un certain temps de pose, qui dépend uniquement de la focale et calculé par la formule suivante :

t_{max} = \frac{1}{focale}

avec la focale exprimée en mm.

Ainsi, à une focale de 200mm, cette règle imposerait un temps de pose de 1/200 pour éviter le flou de bougé.

Pour un autre format de capteur, il faut prendre en compte le crop factor ainsi :

t_{max} = \frac{1}{crop factor * focale}

A 200mm sur un Canon avec un capteur APS-C (crop factor de 1.6x), ce temps de pose minimum est alors de 1/320.

Bien sûr, cette règle n’est qu’indicative et avec de l’entraînement et un peu de technique, il est possible de conserver une proportion raisonnable d’images nettes avec des temps plus longs. Je vous encourage d’ailleurs à faire quelques tests afin de savoir jusqu’à quelle vitesse vous êtes capable de descendre avec votre focale préférée.

Sur trépied

Dans le cas d’une photo sur trépied, les différents contributeurs listés en introduction sont drastiquement réduits :

  • le déplacement du photographe s’il est en mouvement ;
  • l’instabilité du photographe sur ses appuis s’il est par ailleurs immobile dans l’espace ;
  • les tremblements naturels de la main qui soutient l’appareil si le photographe est en revanche complètement stable sur ses appuis ;
  • le mouvement de l’appareil du fait de la pression sur le déclencheur ;
  • Les vibrations engendrées par le déplacement du miroir (REFLEX uniquement).

Les deux contributeurs restant pourraient sembler avoir des contributions faibles, néanmoins ils ne sont pas négligeables et pour une raison assez contre-intuitive : la plupart des objectifs récents désactivent leur stabilisation lorsqu’ils détectent qu’ils sont sur un trépied (source : digital-photography-school.com , the-digital-picture.com). En effet, avec une stabilisation active sur trépied, une forme de « résonance » serait possible : l’objectif pourrait mesurer des micro-vibrations inexistantes, déplacer le groupe optique de stabilisation pour les compenser, ce qui produirait de nouvelles micro-vibrations, qui seraient détectées, et ainsi de suite.

Si vous recherchez à réduire au maximum les sources de vibrations, je vous conseillerais donc de toujours désactiver la stabilisation sur trépied et :

  • d’utiliser une télécommande ou les fonctions sans-fils de votre boitier pour déclencher la prise de vue (en installant par exemple l’application Camera Connect de Canon sur votre smartphone) ;
  • de bloquer le miroir de votre Reflex en position « levé » et en utilisant le LiveView ;
  • utiliser l’obturateur électronique au lieu de l’obturateur mécanique si votre appareil le permet.

J’en profite pour vous glisser une vidéo montrant l’obturateur d’un reflex en fonctionnement : cela permet de se rendre compte que les chocs introduits par le miroir et l’obturateur sont bien réels.

Fonctionnement d’un obturateur avec un temps de pause de 1/60

La performance de la stabilisation optique

La performance de la stabilisation est généralement donnée par un gain en « stop », mais on le retrouve aussi parfois exprimé en équivalent « EV » (Exposure Value – Indice de Lumination en français : voir le triangle d’exposition pour davantage de détails sur cette notion) ou en nombre de vitesses. Les objectifs dotés d’une stabilisation performante affichent actuellement des gains théoriques de 4 à 5 stop : Canon revendique par exemple une stabilisation de 5 stop pour son RF 70-200 F/2,8L IS USM.

Ce chiffre permet de connaître le temps d’exposition (théorique) maximal qui serait accessible sans produire de flou de bougé (le flou induit par le mouvement de l’appareil photo). Ainsi :

  • un gain de 1 stop (ou de « 1 EV » ou de « une vitesse ») double le temps de pose ;
  • un gain de 2 stop quadruple ce temps ;
  • plus généralement, un gain de n stop permet de multiplier le temps de pose par 2^n (2 puissance n).

Mesure

Le CIPA (Camera & Imaging Products Association) a publié en 2014 un premier brouillon de norme permettant de mesurer la performance de la stabilisation. Si vous avez déjà vu ce nom quelque part, c’est normal, ce sont aussi eux qui fournissent la manière de mesure l’autonomie d’un appareil en termes de nombre de photos qu’il est capable de faire avant de tomber à plat.

Voici en résumé la procédure décrite pour le CIPA pour mesure la performance de stabilisation. Tout d’abord, l’appareil photo est mis sur une table vibrante qui reproduit des vibrations similaires à celles mesurées sur différentes personnes (ces vibrations dépendent de la masse de l’appareil photo). Ensuite, pour chaque temps de pose, au moins 200 photos d’une image d’un mètre de large sont réalisées, à une distance d’environ 20x la focale (équivalente 35mm). Sur cette base, un logiciel calcule différents critères mesurant un « flou » et les comparent à des seuils définis empiriquement. Une image sera ainsi définie comme « nette » si moins de 10% des personnes interrogées n’arrivent pas à voir la différence entre une image prise à partir d’un appareil fixe ou d’un appareil vibrant. La performance en stabilisation est ainsi l’écart (exprimé en « stop ») entre le temps de pose donnant des images « nettes » sans stabilisation et celui avec la stabilisation activée. Ainsi, si le temps de pose permettant des images nettes sans stabilisation est de 1/200 et que la stabilisation permet d’atteindre le même pourcentage de photos acceptables avec un temps de 1/25, la performance de la stabilisation est de 3 stop (200/25 = 8 = 2^3).

Cette mesure standardisée a le mérite d’exister, mais ses critères restent empiriques et sujets à approximations. Ainsi, difficile de savoir si vous « tremblez » comme le profil utilisé sur la table vibrante ou si vous avez la même perception de la « netteté ». Bref, utilisez-la en connaissance de causes !

Exemples théoriques

Revenons à notre Canon RF 70-200 monté sur un plein format :

  • à 70mm, le temps de pose maximum théorique est de 1/70. Avec un gain de 5 stop, on peut multiplier ce temps par 2^5 = 32, ce qui donnerait un temps d’environ 0.5s.
  • à 200mm, le temps max est de 1/200. La stabilisation permettrait alors d’aller jusqu’à environ 1/6s

Mais… et en pratique ?

Jusqu’à présent, j’ai beaucoup abordé les aspects théoriques. Peut-être pensez-vous que j’aurais dû commencer cet article par une comparaison entre une image nette sous-titrée « avec stabilisation » et la même sans stabilisation, forcément floue ? L’idée m’a en effet titillée, mais un tel affichage serait mensonger. Et pour expliquer pourquoi, je vais m’appuyer sur le site Imaging Resource, une référence dans la photo, et qui dispose d’un excellent article (en anglais) sur la manière dont ils évaluent la stabilisation. Après de nombreux tests, voici ce qu’ils écrivent (traduction libre) :

– La performance de stabilisation est un phénomène aléatoire. il faut s’attendre à grandes variations de résultats d’une image à une autre. Beaucoup de photographes s’attendent à ce que la stabilisation produise des images nettes jusqu’à un certain temps d’exposition, puis des images floues avec des temps plus longs. En réalité, vous produisez en permanence des images nettes et des images floues, que ce soit avec stabilisation ou sans. La stabilisation ne fait que repousser à des temps de pause plus long la proportion d’images nettes que vous trouvez acceptable.

– Les performances diffèrent beaucoup entre les marques. Voir un acronyme indiquant la présence d’une stabilisation n’est pas gage d’une augmentation certaine d’images nettes. Il est indispensable de tester objectivement la performance des systèmes stabilisés.

– Différents photographes obtiendront souvent des résultats différents. Nous pensions que les systèmes stabilisés donneraient des performances différentes entre photographes stables et tremblotant. Cela s’est confirmé, mais parfois c’était le photographe stable qui tirait le maximum du système, tandis que dans d’autre cas c’était le tremblotant. C’est pour cette raison que nous présentons toujours nos résultats avec différents photographes.

– Tout dépend de vous. Nos photographes arrivent à des résultats répétables et fiables, ce qui nous permet de faire des comparaisons entre systèmes de stabilisation. Cependant, il est possible que vous n’arriviez pas aux mêmes conclusions que nous.

– Presque tous les systèmes de stabilisation produisent une amélioration. Sur les 25-30 objectifs et appareils testés, seule la stabilisation d’un objectif nous est apparue inefficace. Les autres systèmes de stabilisation ont tous apportés des gains de netteté lors de poses longues.

article de Imaging Resource

Ainsi, vous êtes maintenant doublement prévenus : que ce soit par la procédure CIPA ou par les évaluations faites dans vos magasines préférés, les gains à attendre d’un système de stabilisation ne sont pas si facilement quantifiable. Il sera difficile d’extrapoler le gain que vous constaterez à partir d’un article de magazine ou du retour d’expérience d’un autre photographe.

Est-ce que j’en ai besoin ?

Cas général

Si votre objectif premier est de pouvoir utiliser des temps de pose plus longs sur des sujets relativement immobiles, à mains levées, alors OUI, la stabilisation vous sera utile ! Si vous êtes sur trépied ou monopod, passez votre chemin.

Si vos sujets sont en mouvement et que vous souhaitez continuer à figer le mouvement, NON, la stabilisation ne vous aidera pas puisqu’a priori vous ne pourrez pas jouer sur le temps de pose. Si vos photos sont trop sombres, il vous faut monter en ISO, investir dans un objectif plus lumineux ou envisager une source de lumière extérieure.

Donc en résumé :

Sujet immobile ou lentSujet en déplacement rapide
Main levéeVive la stab !Non*
Trépied ou monopodNonNon*

Non* : voir plus bas

Cas particulier : le filé

Si vous êtes fan des filés avec un sujet mobile (typiquement un véhicule) la majorité des grandes focales stabilisées disposent au moins de 2 modes : un premier offrant une stabilisation « tout axe » et un second permettant de conserver la stabilisation sur un seul axe. Dans ce second cas, si par exemple vous suivez un sujet se déplaçant horizontalement, la stabilisation d’image filtre uniquement le bougé vertical et la stabilisation horizontale s’arrête.

Ce sujet mérite un article à lui seul, mais retenez que dans ce cas la stabilisation peut être utile, même si votre sujet se déplace rapidement.

Cas particulier : forte exigence sur l’autofocus

La stabilisation permet au capteur d’être moins sensible aux perturbations extérieures et d’avoir une meilleure « continuité » de l’image qu’il voit. Ainsi, l’autofocus et l’évaluation de l’exposition fonctionneraient mieux. Dans une interview avec un « haut-gradé » de chez Canon, le site The Digital Picture a ainsi recueilli les paroles suivantes (encore une fois, traduction libre) :

Avec une stabilisation optique, le système de mise au point bénéficie d’une vue propre, stabilisée du sujet. C’est important, surtout lors de rafales rapides et encore davantage si vos sujets bougent rapidement ou présentent peu de détails, de contraste ou de texture. Les collimateurs utilisés doivent voir un minimum de détails et ont moins d’un dixième de seconde pour évaluer le déplacement du sujet, avec la rafale rapide du 7D mark II ou d’un modèle 1D X. En utilisant la stabilisation optique, indépendamment du temps d’exposition, le système d’autofocus obtient une vision du sujet plus propre, plus stable dans l’intervalle entre chaque prise de vue. L’autofocus a ainsi davantage de chance d’avoir un bon suivi du sujet et la rafale contiendra davantage de photos nettes.

Should You Turn Off « IS » When Using Action-Stopping Shutter Speeds?, The digital picture

Discours purement marketing ou réel avantage ? Je n’ai jamais ressenti de différence au niveau de l’autofocus, et les photographes sportifs professionnels à qui j’ai posé la question ont des avis partagés sur le sujet. N’hésitez pas à me faire part de votre expérience ou d’un article sur le sujet.

Olivier Écrit par :

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